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26 mai 2008 1 26 /05 /mai /2008 13:11
C'est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleil de la montagne fière,
Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons. 

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit. 

Arthur Rimbaud, Octobre 1870

 Oh what’s in this hollow - E. R. Hughes
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26 mai 2008 1 26 /05 /mai /2008 12:43




 Gisant de Marie de Bourgogne

Sur ce couvercle de tombeau
     Elle dort. L'obscur artiste
Qui l'a sculptée a vu le beau
     Sans rien de triste.

 Joignant les mains, les yeux heureux
     Sous le voile des paupières,
Elle a des rêves amoureux
     Dans ses prières.

 Sous les plis lourds du vêtement,
     La chair apparaît rebelle,
N'oubliant pas complètement
     Qu'elle était belle. 

Ramenés sur le sein glacé
     Les bras, en d'étroites manches,
Rêvent l'amant qu'ont enlacé
     Leurs chaînes blanches. 

Le lévrier, comme autrefois
     Attendant une caresse,
Dort blotti contre les pieds froids
     De sa maîtresse.

 

 Tout le passé revit. Je vois
     Les splendeurs seigneuriales,
Les écussons et les pavois
     Des grandes salles, 

Les hauts plafonds de bois, bordés
     D'emblématiques sculptures,
Les chasses, les tournois brodés
     Sur les tentures. 

Dans son fauteuil, sans nul souci
     Des gens dont la chambre est pleine,
A quoi peut donc rêver ainsi,
     La châtelaine?

 Ses yeux où brillent par moment
     Les fiertés intérieures,
Lisent mélancoliquement
     Un livre d'heures.

 

 Quand une femme rêve ainsi
     Fière de sa beauté rare,
C'est quelque drame sans merci
     Qui se prépare. 

Peut-être à temps, en pleine fleur,
     Celle-ci fut mise en terre.
Bien qu'implacable, la douleur
     En fut austère. 

L'amant n'a pas vu se ternir,
     Au souffle de l'infidèle,
La pureté du souvenir
     Qu'il avait d'elle. 

La mort n'a pas atteint le beau.
     La chair perverse est tuée,
Mais la forme est, sur un tombeau,
     Perpétuée.

Charles Cros (Le coffret de santal)

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26 mai 2008 1 26 /05 /mai /2008 11:32
Ma belle amie est morte,
Et voilà qu'on la porte
En terre, ce matin,
En souliers de satin.

Elle dort toute blanche,
En robe de dimanche,
Dans son cercueil ouvert
Malgré le vent d'hiver.

Creuse, fossoyeur, creuse
À ma belle amoureuse
Un tombeau bien profond,
Avec ma place au fond.

Avant que la nuit tombe
Ne ferme pas la tombe ;
Car elle m'avait dit
De venir cette nuit,

De venir dans sa chambre :
« Par ces nuits de décembre,
Seule, en mon lit étroit,
Sans toi, j'ai toujours froid. »

Mais, par une aube grise,
Son frère l'a surprise
Nue et sur mes genoux.
Il m'a dit : « Battons-nous.

Que je te tue. Ensuite
Je tuerai la petite. »
C'est moi qui, m'en gardant,
L'ai tué, cependant.

Sa peine fut si forte
Qu'hier elle en est morte.
Mais, comme elle m'a dit,
Elle m'attend au lit.

Au lit que tu sais faire,
Fossoyeur, dans la terre.
Et, dans ce lit étroit,
Seule, elle aurait trop froid.

J'irai coucher près d'elle,
Comme un amant fidèle,
Pendant toute la nuit
Qui jamais ne finit.

Charles Cros (Le coffret de santal)

Edward Young enterrant sa fille de Pierre-Auguste Vafflard
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24 mai 2008 6 24 /05 /mai /2008 20:44

Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.
J’irai par la forêt, j’irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.
 
Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.
 
Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.

Victor Hugo, Les contemplations, 3 septembre 1847

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17 mai 2008 6 17 /05 /mai /2008 15:04

Agonie

Par le petit garçon qui meurt près de sa mère
tandis que des enfants s'amusent au parterre,
et par l'oiseau blessé, qui ne sait pas comment
son aile tout-à-coup s'ensanglante et descend ;
par la soif et la faim et le délire ardent :
             Je vous salue, Marie.


Flagellation

Par les gosses battus,
par l'ivrogne qui rentre,
par l'âne qui reçoit des coups de pied au ventre,
et par l'humiliation de l'innocent châtié ;
par la vierge vendue qu'on a déshabillée,
par le fils dont la mère a été insultée :
            Je vous salue, Marie.


Couronnement d'épines

Par le mendiant qui n'eut d'autre couronne
que le vol des frelons, amis des vergers jaunes ;
et d'autre sceptre qu'un bâton contre les chiens ;
par le poète dont saigne le front qui est ceint
des ronces des désirs que jamais il n'atteint :
            Je vous salue, Marie.


Portement de croix

Par la vieille qui, trébuchant sous trop de poids
s'écrie : "Mon Dieu !" ; par le malheureux dont les bras
ne purent s'appuyer sur une amour humaine ;
comme la croix du Fils sur Simon de Cyrène
par le cheval tombé sous le chariot qu'il traîne :
            Je vous salue, Marie.


Crucifiement

Par les quatre horizons qui crucifient le monde,
par tous ceux dont la chair se déchire ou succombe,
par ceux qui sont sans pieds, par ceux qui sont sans mains ;
par le malade que l'on opère et qui geint,
et par le juste mis au rang des assassins :
            Je vous salue, Marie.

Francis Jammes

Photographie par Rodolphe Simeon - Life

...Cet hymne à Marie, composé par Francis Jammes après sa conversion religieuse, est en fait un hymne à tous les miséreux, à tous les humiliés (y compris le poète) de ce monde, à tous ceux qui ne peuvent compter sur un Simon de Cyrène, personnage qui aida le Christ à porter sa croix...
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17 mai 2008 6 17 /05 /mai /2008 14:50

Les sanglots longs
Des violons
    De l’automne
Blessent mon cœur
D’une langueur
    Monotone.

Tout suffocant
Et blême, quand
    Sonne l’heure,
Je me souviens
Des jours anciens
    Et je pleure ;

Et je m’en vais
Au vent mauvais
    Qui m’emporte
Deçà, delà,
Pareil à la
    Feuille morte.

Paul Verlaine
(Poèmes saturniens)

Photographie par Viona Art - Prague
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17 mai 2008 6 17 /05 /mai /2008 14:43
Robert Doineau - Le manège

Il pleure dans mon cœur
Comme il pleut sur la ville,
Quelle est cette langueur
Qui pénètre mon cœur ?

Ô bruit doux de la pluie
Par terre et sur les toits !
Pour un cœur qui s'ennuie
Ô le chant de la pluie !

Il pleure sans raison
Dans ce cœur qui s'écœure.
Quoi ! nulle trahison ?
Ce deuil est sans raison.

C'est bien la pire peine
De ne savoir pourquoi,
Sans amour et sans haine,
Mon cœur a tant de peine !

Paul Verlaine (Romance sans paroles)

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17 mai 2008 6 17 /05 /mai /2008 13:56
   
  J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans.

Un gros meuble à tiroirs encombré de bilans,
De vers, de billets doux, de procès, de romances,
Avec de lourds cheveux roulés dans des quittances,
Cache moins de secrets que mon triste cerveau.
C'est une pyramide, un immense caveau,
Qui contient plus de morts que la fosse commune.
- Je suis un cimetière abhorré de la lune,
Où comme des remords se traînent de longs vers
Qui s'acharnent toujours sur mes morts les plus chers.
Je suis un vieux boudoir plein de roses fanées,
Où gît tout un fouillis de modes surannées,
Où les pastels plaintifs et les pâles Boucher,
Seuls, respirent l'odeur d'un flacon débouché.

Rien n'égale en longueur les boiteuses journées,
Quand sous les lourds flocons des neigeuses années
L'ennui, fruit de la morne incuriosité,
Prend les proportions de l'immortalité.
- Désormais tu n'es plus, ô matière vivante !
Qu'un granit entouré d'une vague épouvante,
Assoupi dans le fond d'un Saharah brumeux ;
Un vieux sphinx ignoré du monde insoucieux,
Oublié sur la carte, et dont l'humeur farouche
Ne chante qu'aux rayons du soleil qui se couche.

Charles Baudelaire (Les fleurs du mal)

  Photographie par Andy Julia
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12 mai 2008 1 12 /05 /mai /2008 19:17

Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime,
Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend.

Car elle me comprend, et mon coeur transparent
Pour elle seule, hélas ! cesse d'être un problème
Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,
Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.

Est-elle brune, blonde ou rousse ? Je l'ignore.
Son nom ? Je me souviens qu'il est doux et sonore,
Comme ceux des aimés que la vie exila.

Son regard est pareil au regard des statues,
Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
L'inflexion des voix chères qui se sont tues.


Paul Verlaine (Poèmes saturniens)

Photographie par Andy Julia - White Lady
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6 avril 2008 7 06 /04 /avril /2008 12:42
Je vis, je meurs : je me brule et me noye.
J'ay chaut estreme en endurant froidure:
La vie m'est et trop molle et trop dure.Les coeurs s'envolent...
J'ay grans ennuis entremeslez de joye: 

Tout à un coup je ris et je larmoye,
Et en plaisir maint grief tourment j'endure :
Mon bien s'en va, et à jamais il dure :
Tout en un coup je seiche et je verdoye.

Ainsi Amour inconstamment me meine :
Et quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me treuve hors de peine.

Puis quand je croy ma joye estre certeine,
Et estre au haut de mon desiré heur,
Il me remet en mon premier malheur.

Louise Labé

...Création poétique ou réelle poétesse, Louise Labé a écrit de beaux sonnets sur l'amour au XVIème siècle. D'ailleurs elle habitait à Lyon, près de la place Bellecour... Je préfère le poème en ancien français mais pour ceux qui désirerait le lire dans un français plus courant :
http://coulmont.com/labe/sonnet08.html...

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