Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
26 mai 2008 1 26 /05 /mai /2008 12:43




 Gisant de Marie de Bourgogne

Sur ce couvercle de tombeau
     Elle dort. L'obscur artiste
Qui l'a sculptée a vu le beau
     Sans rien de triste.

 Joignant les mains, les yeux heureux
     Sous le voile des paupières,
Elle a des rêves amoureux
     Dans ses prières.

 Sous les plis lourds du vêtement,
     La chair apparaît rebelle,
N'oubliant pas complètement
     Qu'elle était belle. 

Ramenés sur le sein glacé
     Les bras, en d'étroites manches,
Rêvent l'amant qu'ont enlacé
     Leurs chaînes blanches. 

Le lévrier, comme autrefois
     Attendant une caresse,
Dort blotti contre les pieds froids
     De sa maîtresse.

 

 Tout le passé revit. Je vois
     Les splendeurs seigneuriales,
Les écussons et les pavois
     Des grandes salles, 

Les hauts plafonds de bois, bordés
     D'emblématiques sculptures,
Les chasses, les tournois brodés
     Sur les tentures. 

Dans son fauteuil, sans nul souci
     Des gens dont la chambre est pleine,
A quoi peut donc rêver ainsi,
     La châtelaine?

 Ses yeux où brillent par moment
     Les fiertés intérieures,
Lisent mélancoliquement
     Un livre d'heures.

 

 Quand une femme rêve ainsi
     Fière de sa beauté rare,
C'est quelque drame sans merci
     Qui se prépare. 

Peut-être à temps, en pleine fleur,
     Celle-ci fut mise en terre.
Bien qu'implacable, la douleur
     En fut austère. 

L'amant n'a pas vu se ternir,
     Au souffle de l'infidèle,
La pureté du souvenir
     Qu'il avait d'elle. 

La mort n'a pas atteint le beau.
     La chair perverse est tuée,
Mais la forme est, sur un tombeau,
     Perpétuée.

Charles Cros (Le coffret de santal)

Partager cet article
Repost0

commentaires