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1 novembre 2008 6 01 /11 /novembre /2008 11:30
J'en reste abasourdie tellement c'est bien fait...



La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d'une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l'ourlet ;

Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son oeil, ciel livide où germe l'ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.

Un éclair... puis la nuit ! - Fugitive beauté
Dont le regard m'a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l'éternité ?

Ailleurs, bien loin d'ici ! trop tard ! jamais peut-être !
Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
Ô toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais !
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5 octobre 2008 7 05 /10 /octobre /2008 19:30
L'horloge - Charles Baudelaire
Horloge ! dieu sinistre, effrayant, impassible,
Dont le doigt nous menace et nous dit: "Souviens-toi!
Les vibrantes Douleurs dans ton coeur plein d'effroi
Se planteront bientôt comme dans une cible;

Le Plaisir vaporeux fuira vers l'horizon
Ainsi qu'une sylphide au fond de la coulisse;
Chaque instant te dévore un morceau du délice
A chaque homme accordé pour toute sa saison.

Trois mille six cents fois par heure, la Seconde
Chuchote: Souviens-toi! - Rapide, avec sa voix
D'insecte, Maintenant dit: Je suis Autrefois,
Et j'ai pompé ta vie avec ma trompe immonde!

Remember! Souviens-toi! prodigue! Esto memor!
(Mon gosier de métal parle toutes les langues.)
Les minutes, mortel folâtre, sont des gangues
Qu'il ne faut pas lâcher sans en extraire l'or!

Souviens-toi que le Temps est un joueur avide
Qui gagne sans tricher, à tout coup! c'est la loi.
Le jour décroît; la nuit augmente; souviens-toi!
Le gouffre a toujours soif; la clepsydre se vide.

Tantôt sonnera l'heure où le divin Hasard,
Où l'auguste Vertu, ton épouse encor vierge,
Où le Repentir même (oh! la dernière auberge!),
Où tout te dira Meurs, vieux lâche! il est trop tard!"

Charles Baudelaire (Les fleurs du mal)
Image trouvée via sombreceltiane.skyrock.com
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12 juillet 2008 6 12 /07 /juillet /2008 18:01
Longing of a ghost par Francis A Willey

Comme les anges à l'œil fauve,
Je reviendrai dans ton alcôve
Et vers toi glisserai sans bruit
Avec les ombres de la nuit, 

Et je te donnerai, ma brune,
Des baisers froids comme la lune
Et des caresses de serpent
Autour d'une fosse rampant. 

Quand viendra le matin livide,
Tu trouveras ma place vide,
Où jusqu'au soir il fera froid. 

Comme d'autres par la tendresse,
Sur ta vie et sur ta jeunesse,
Moi, je veux régner par l'effroi.

Charles Baudelaire (Les fleurs du mal)

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14 juin 2008 6 14 /06 /juin /2008 14:01

 Je vous envoie un bouquet que ma main
 Vient de trier de ces fleurs épanies ;
 Qui ne les eût à ce vêpre cueillies,
 Chutes à terre elles fussent demain.

 Cela vous soit un exemple certain
 Que vos beautés, bien qu'elles soient fleuries,
 En peu de temps cherront toutes flétries,
 Et, comme fleurs, périront tout soudain.

 Le temps s'en va, le temps s'en va, ma dame ;
 Las ! le temps, non, mais nous nous en allons,
 Et tôt serons étendus sous la lame ;

 Et des amours desquelles nous parlons,
 Quand serons morts, n'en sera plus nouvelle.
 Pour c'aimez-moi cependant qu'êtes belle.

Pierre de Ronsard (Continuation des Amours, 1555)

Sonnet à Marie - Pierre de Ronsard

Ce poème est dédié à une modeste paysanne originaire de Bourgueil : Marie Dauphin. Ronsard s'éprend de cette fille qui avait alors 15 ans tandis que lui en avait 30. Ce poème est la cinquième du recueil "Continuation des amours". Il lui envoie ici un poème de 14 décasyllabes pour accompagner un bouquet de fleurs. Une nouvelle fois, il associe à la beauté des fleurs l'hommage amoureux, mais aussi la conviction de la brièveté de la vie.
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7 juin 2008 6 07 /06 /juin /2008 20:55

Il est grave, il est maire et père de famille,
Son faux-col engloutit son oreille, ses yeux
Dans un rêve sans fin flottent insoucieux
Et le printemps en fleurs sur ses pantoufles brille  

Que lui fait l'astre d'or, que lui fait la charmille
Où l'oiseau chante à l'ombre et que lui font les cieux
Et les prés verts et les gazons silencieux.
Monsieur Prud'Homme songe à marier sa fille, 

Avec Monsieur Machin, un jeune homme cossu,
Il est juste milieu, botaniste et pansu
Quant aux faiseurs de vers, ces vauriens, ces maroufles,  

Ces fainéants barbus mal peignés, il les a
Plus en horreur que son éternel coryza
Et le printemps en fleurs brille sur ses pantoufles.

Paul Verlaine (Poème saturniens, 1866)

Ambrotype du 19ème siècle
...Pardon à ce "Monsieur Prud'homme" à qui j'ai pris la photographie pour illustrer ce poème : n'en a-t-il pas tout l'air avec son col jusqu'au menton et son air grave ? Cette ressemblance m'a fait rire...
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7 juin 2008 6 07 /06 /juin /2008 19:46

 

Le pont Mirabeau - Paris 1900


Sous le pont Mirabeau coule la Seine

Et nos amours
Faut-il qu'il m'en souvienne
La joie venait toujours après la peine 

Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure

Les mains dans les mains restons face à face
Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l'onde si lasse 

Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure 

L'amour s'en va comme cette eau courante
L'amour s'en va
Comme la vie est lente
Et comme l'Espérance est violente 

Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure 

Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine 

Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure

Guillaume Apollinaire, Alcools (1912)

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30 mai 2008 5 30 /05 /mai /2008 21:29

Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille.
Tu réclamais le Soir ; il descend ; le voici :
Une atmosphère obscure enveloppe la ville,
Aux uns portant la paix, aux autres le souci.

Pendant que des mortels la multitude vile,
Sous le fouet du Plaisir, ce bourreau sans merci,
Va cueillir des remords dans la fête servile,
Ma douleur, donne-moi la main ; viens par ici,

Loin d'eux. Vois se pencher les défuntes Années,
Sur les balcons du ciel, en robes surannées ;
Surgir du fond des eaux le Regret souriant ;

Le Soleil moribond s'endormir sous une arche,
Et, comme un long linceul traînant à l'Orient,
Entends, ma chère, entends la douce Nuit qui marche.

Charles Baudelaire (Les fleurs du mal)

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28 mai 2008 3 28 /05 /mai /2008 13:39
La grande faucheuse Je vis cette faucheuse. Elle était dans son champ.
Elle allait à grands pas moissonnant et fauchant,
Noir squelette laissant passer le crépuscule.
Dans l'ombre où l'on dirait que tout tremble et recule,
L'homme suivait des yeux les lueurs de la faulx.
Et les triomphateurs sous les arcs triomphaux
Tombaient ; elle changeait en désert Babylone,
Le trône en échafaud et l'échafaud en trône,
Les roses en fumier, les enfants en oiseaux,
L'or en cendre, et les yeux des mères en ruisseaux.
Et les femmes criaient : - Rends-nous ce petit être.
Pour le faire mourir, pourquoi l'avoir fait naître ? -
Ce n'était qu'un sanglot sur terre, en haut, en bas ;
Des mains aux doigts osseux sortaient des noirs grabats ;
Un vent froid bruissait dans les linceuls sans nombre ;
Les peuples éperdus semblaient sous la faulx sombre
Un troupeau frissonnant qui dans l'ombre s'enfuit ;
Tout était sous ses pieds deuil, épouvante et nuit.
Derrière elle, le front baigné de douces flammes,
Un ange souriant portait la gerbe d'âmes.

Victor Hugo (Les contemplations)
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26 mai 2008 1 26 /05 /mai /2008 21:24
J'ouvre mon estomac, une tombe sanglante
De maux ensevelis. Pour Dieu, tourne tes yeux,
Diane, et vois au fond mon coeur parti en deux,
Et mes poumons gravés d'une ardeur violente, 

Vois mon sang écumeux tout noirci par la flamme,
Mes os secs de langueurs en pitoyable point
Mais considère aussi ce que tu ne vois point,
Le reste des malheurs qui saccagent mon âme. 

Tu me brûles et au four de ma flamme meurtrière
Tu chauffes ta froideur : tes délicates mains
Attisent mon brasier et tes yeux inhumains
Pleurent, non de pitié, mais flambants de colère. 

À ce feu dévorant de ton ire allumée
Ton oeil enflé gémit, tu pleures à ma mort,
Mais ce n'est pas mon mal qui te déplait si fort
Rien n'attendrit tes yeux que mon aigre fumée. 

Au moins après ma fin que ton âme apaisée
Brûlant le coeur, le corps, hostie à ton courroux,
Prenne sur mon esprit un supplice plus doux,
Étant d'ire en ma vie en un coup épuisée.

Théodore Agrippa d'Aubigné (Stances)

Daddy's girl par Michael Hussar
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26 mai 2008 1 26 /05 /mai /2008 16:51

Que m'importe que tu sois sage ?
Sois belle ! et sois triste ! Les pleurs
Ajoutent un charme au visage,
Comme le fleuve au paysage ;
L'orage rajeunit les fleurs. 

Je t'aime surtout quand la joie
S'enfuit de ton front terrassé ;
Quand ton coeur dans l'horreur se noie ;
Quand sur ton présent se déploie
Le nuage affreux du passé.

Je t'aime quand ton grand oeil verse
Une eau chaude comme le sang ;
Quand, malgré ma main qui te berce,
Ton angoisse, trop lourde, perce
Comme un râle d'agonisant.

J'aspire, volupté divine !
Hymne profond, délicieux !
Tous les sanglots de ta poitrine,
Et crois que ton coeur s'illumine
Des perles que versent tes yeux ! 

II

Je sais que ton coeur, qui regorge
De vieux amours déracinés,
Flamboie encor comme une forge,
Et que tu couves sous ta gorge
Un peu de l'orgueil des damnés ;

Mais tant, ma chère, que tes rêves
N'auront pas reflété l'Enfer,
Et qu'en un cauchemar sans trêves,
Songeant de poisons et de glaives,
Eprise de poudre et de fer, 

N'ouvrant à chacun qu'avec crainte,
Déchiffrant le malheur partout,
Te convulsant quand l'heure tinte,
Tu n'auras pas senti l'étreinte
De l'irrésistible Dégoût, 

Tu ne pourras, esclave reine
Qui ne m'aimes qu'avec effroi,
Dans l'horreur de la nuit malsaine,
Me dire, l'âme de cris pleine :
" Je suis ton égale, Ô mon Roi ! "

Charles Baudelaire (Les fleurs du mal)

 Photographie de Belle Archer
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